Le 1er mai, le taux général du salaire minimum passera à 16,10 $ l’heure, en hausse de 0,35 $ ou de 2,2 %. Cela demeure bien peu, dans la perspective d’une proportion toujours plus grande de salariés à revenu faible et moyen consacrant une part plus large de leur revenu aux biens de première nécessité. Mais il y a l’effet Trump.
Dans son communiqué, le ministre du Travail, Jean Boulet, souligne que cette hausse concerne 217 400 salariés, dont 118 400 femmes. « Avec ce nouveau taux, le ratio entre le salaire minimum et le salaire horaire moyen atteindra 50,5 %, alors que la politique gouvernementale sur le salaire minimum vise l’atteinte d’un ratio de 50 % », prend-il soin de souligner.
Pour les personnes rémunérées au pourboire, le taux horaire passe à 12,90 $, soit une hausse de 0,30 $ l’heure ou de 2,38 %.
L’effet Trump étant… Selon les propos du ministre recueillis par La Presse canadienne à la fin de janvier, Québec a qualifié d’équilibre délicat à préserver l’intention sous-jacente à l’augmentation annoncée. « Ça permet de faire évoluer le salaire minimum de manière équilibrée, en respectant, d’une part, la capacité de payer des entreprises », tout en permettant aux travailleurs d’accroître leur revenu et de préserver leur pouvoir d’achat. « Vous n’êtes pas sans savoir que l’incertitude, en fait l’insécurité économique qu’on vit actuellement, ça engendre beaucoup de licenciements, des mises à pied, des retards d’investissement. Donc, on a ce climat-là dont on doit tenir compte pour s’assurer de ne pas nuire à la compétitivité des entreprises, particulièrement des PME. Donc, on ne veut pas mettre à risque les emplois des personnes au salaire minimum », a-t-il soutenu.
Cela dit, le tout est à mettre dans la perspective que les travailleurs au salaire minimum représentent, grosso modo, 5 % des quelque 4,5 millions de personnes en emploi au Québec à la fin de 2024. Tous emplois confondus, les employeurs du Québec prévoient accorder des augmentations salariales de 3,3 % cette année, selon les données publiées en septembre dernier par l’Ordre des conseillers en ressources humaines. Il ressort de cette enquête que moins de 5 % des organisations répondantes prévoient un gel des salaires et des structures salariales. Si on les exclut du calcul, la moyenne des augmentations de salaire prévues pour 2025 s’établit à 3,5 % tous secteurs confondus.
Pourtant, là aussi, « on sent beaucoup de prudence au sein des organisations. D’une part, elles souhaitent un retour à la normale et à des niveaux d’augmentation plus proches de leur capacité de payer. D’autre part, elles font face à des défis de rétention et surveillent attentivement leur positionnement par rapport au reste du marché », poursuit l’Ordre.
Inégalités de revenu
Dans son communiqué, le ministre Boulet cite l’étude de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke de l’an dernier, situant le Québec au premier rang au Canada au regard du taux de couverture de la mesure du panier de consommation (MPC), et ce, pour tous les types de ménage. Mais quant aux nuances…
On peut revenir au constat de Carrie Freestone, membre du groupe d’analyse macroéconomique de la Banque Royale, se dégageant de son rapport publié à la fin d’octobre. Si les ménages à revenu élevé se portent bien, disait-elle, la hausse des taux d’intérêt, des prix et du taux de chômage a réduit le pouvoir d’achat des groupes à faible revenu. Ce groupe a bénéficié d’un répit pendant la pandémie sous l’effet compensatoire des transferts gouvernementaux. « Mais aujourd’hui, ceux qui en font partie sont de retour là où ils étaient en 2019, les produits de première nécessité représentant 105 % du revenu disponible de leur ménage. »
Plus précisément, les salariés à revenu moyen se retrouvent dans une situation exceptionnellement difficile. Déjà en 2023, ils consacraient la plus grande part de leur salaire net aux biens de première nécessité depuis 1999. L’an dernier, ils ont dépensé 17 % de plus que leur salaire net. « On parle d’un doublement du taux de “désépargne” par rapport à 2019, provoqué notamment par des mensualités hypothécaires plus élevées et une explosion des coûts pour les biens essentiels, logement et épicerie en tête de liste », souligne l’analyste. S’y greffe un accroissement de la disparité de revenu, « les 40 % des plus riches ont tout simplement représenté 70 % de la croissance des salaires au cours des trois dernières années ».
Forte révision de la MPC
Pour leur part, les revenus des familles à faible revenu n’ont pas suivi le rythme de l’augmentation du seuil de la MPC ces dernières années, indique le directeur parlementaire du budget (DPB) dans son analyse de février sur le revenu de base garanti. Alors que l’incidence sur la pauvreté semble plus faible, du moins en apparence, la combinaison des pressions inflationnistes, des seuils de MPC plus élevés et d’une croissance plus faible du revenu des ménages suggère qu’il leur est de plus en plus difficile d’assumer les frais de subsistance de base, « que davantage de familles sont désormais considérées comme vivant dans la pauvreté, selon les taux officiels mis à jour ». Ce qui met en évidence les défis croissants que pose la satisfaction des besoins fondamentaux.
Le DPB parle d’une importante révision à la hausse du seuil de la MPC, qui utilise désormais 2018 comme année de base au lieu de 2008, afin de refléter les coûts plus élevés du logement, de l’alimentation, du transport et d’autres nécessités, et des variations régionales de coûts. En 2018, Statistique Canada a déclaré un taux de pauvreté national de 8,7 % en utilisant la MPC de l’année de base 2008. Lorsqu’on recalcule à l’aide de la MPC actualisée de l’année de base 2018, le taux de pauvreté pour la même année passe à 11 %.
Dit autrement, le seuil de la MPC pour la famille économique passe de 40 603 $ (en 2008) à 49 835 (base 2018) pour la ville de Québec, de 41 610 $ à 50 520 $ pour Montréal, et de 47 905 à 58 912 $ pour Ottawa-Gatineau, soit une hausse moyenne de 22 %, selon les calculs du DPB.