Bien que le coût du transport ait diminué entre 2024 et 2025 pour les ménages qui possèdent une voiture, sortir de la pauvreté continue de coûter plus cher par rapport à l’an dernier pour la plupart des ménages. Les loyers, qui augmentent encore à un rythme plus élevé que l’inflation, sont en cause. Alors que plusieurs parlent de « crise » du logement, force est d’admettre que la situation actuelle n’est plus exceptionnelle et que les hausses de loyer récurrentes représentent un problème structurel qui empêche les ménages d’atteindre une vie exempte de pauvreté.
En 2015, l’IRIS a commencé à calculer le salaire viable pour déterminer le taux horaire nécessaire pour réellement sortir de la pauvreté à Montréal et à Québec. Dès l’année suivante, le calcul s’est étendu à d’autres grandes villes québécoises. Puis, en 2018, le salaire viable est devenu le revenu viable pour analyser la sortie de la pauvreté en prenant mieux en considération différentes situations de vie et de revenu. Pour le dixième anniversaire de cet indicateur, nous offrons une analyse de l’évolution de l’indicateur au fil des années en plus des données pour l’année courante.
Cette publication est divisée en trois sections : d’abord, nous présentons le revenu disponible nécessaire pour vivre hors de la pauvreté pendant l’année en cours pour trois types de ménage : une personne seule, une famille monoparentale avec un·e enfant en centre de la petite enfance (CPE) et une famille de deux adultes et deux enfants d’âge préscolaire. Le revenu viable est calculé pour les localités de Montréal, Québec, Gatineau, Sherbrooke, Saguenay, Trois-Rivières et Sept-Îles. Ensuite, nous analysons l’évolutions des données entre 2015 et aujourd’hui, que ce soit pour les trois types de ménage ou les dépenses en matière de logement, de transport et d’alimentation. Enfin, nous regardons comment le revenu viable s’intègre aux indicateurs d’inégalité comme la mesure du panier de consommation (MPC) et la mesure de faible revenu (MFR) et ce que cela veut dire pour différentes situations de vie.
Le revenu viable est basé sur le coût d’un panier de biens et services de différentes catégories (alimentation, vêtements, logement, transport, autres nécessités, soins de santé non assurés, frais de garde). En ce sens, il est comparable au revenu disponible.
Nous avons basé la structure du revenu viable sur la mesure du panier de consommation (MPC), ce qui facilite la comparaison entre cet indicateur, utilisé comme seuil de pauvreté officiel au Canada, et le nôtre, qui offre un seuil pour la sortie réelle de la pauvreté, au-delà de la couverture des besoins de base. Notons toutefois quelques différences entre les deux indicateurs. D’une part, alors que la famille de référence de la MPC est un couple avec deux enfants, le revenu viable considère trois ménages différents, soit une personne seule, une famille monoparentale avec un·e enfant et un ménage de deux adultes et deux enfants. Cela permet une plus grande précision dans la détermination du revenu viable selon différents scénarios. De plus, le seuil de la MPC ne comprend pas certaines dépenses, comme les frais de garde ou les soins de santé non assurés. Celles-ci doivent être déduites du revenu disponible lorsque l’on compare les revenus des ménages au seuil de la MPC. Statistique Canada considère ces dépenses comme « non discrétionnaires », c’est-à-dire qu’elles sont obligatoires et non négociables (lorsqu’elles sont nécessaires). Dans le cas du revenu viable, ces catégories sont incluses dans le budget pour refléter les dépenses réelles des ménages types retenus.
Le revenu viable vise à permettre une réelle inclusion sociale, économique et culturelle. Le graphique 1 présente les montants du revenu viable en 2025 pour les sept localités et les trois types de ménage considérés.
Coût de la vie pour un ménage d’une personne seule
Pour qu’une personne seule puisse vivre dignement en 2025, nous évaluons qu’elle doit pouvoir compter sur un revenu disponible se situant entre 31 696 $ (Trois-Rivières) et 42 884 $ (Sept-Îles). Bien que ce soit toujours dans la ville de la Côte-Nord que le revenu viable est le plus élevé, Gatineau est tout près, avec moins de 1 000 $ de différence (42 110 $). Alors que ce sont les frais du transport qui expliquent les coûts élevés de Sept-Îles, ce sont ceux du logement qui expliquent cette deuxième place pour Gatineau. En un an, le loyer des 3 ½ a augmenté de 16 %. Lorsque la pénalité au roulement est prise en compte, le coût moyen de ces logements à Gatineau est plus de deux fois supérieur à ceux de Saguenay ou de Trois-Rivières. Montréal passe ainsi du deuxième au troisième rang (39 714 $) des endroits les plus dispendieux. Les montants liés à différentes catégories de dépenses dans chacune de ces localités figurent au tableau 1. Ces montants sont calculés à titre indicatif : il est probable, voire inévitable, qu’un ménage équilibre ses dépenses autrement en fonction de sa réalité.
On remarquera que le transport en commun est privilégié, tant pour ses avantages sur le plan environnemental que pour réduire les coûts du panier de consommation, mais qu’il n’est pas retenu pour la localité de Sept-Îles. Cela s’explique par le fait que l’offre de transport en commun est fonctionnelle pour une personne seule à Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay, Gatineau et Sherbrooke, mais pas à Sept-Îles. Notons qu’il existe dans cette localité de la Côte-Nord un service municipal de transport collectif, soit le taxibus. Nous n’avons toutefois pas retenu ce moyen de transport pour la personne seule de Sept-Îles, car le service n’est disponible que du lundi au vendredi de 5 h 30 à 18 h 30 et que son mode de fonctionnement (réservation d’avance par téléphone) ne nous semble pas optimal pour une vie active. Il s’agit d’une option intéressante pour des déplacements ponctuels, mais elle remplace difficilement une voiture, qui offre la flexibilité nécessaire à un mode de vie hors de la pauvreté.
Coût de la vie pour un ménage monoparental avec un·e enfant en CPE
Le tableau 2 indique le revenu disponible annuel nécessaire à un ménage monoparental avec un·e enfant fréquentant un CPE pour vivre hors de la pauvreté dans les sept localités retenues. C’est encore à Trois-Rivières que le coût de la vie est le plus abordable (43 960 $) et à Sept-Îles que la sortie de la pauvreté est la plus dispendieuse (55 447 $), bien que nous notions une légère diminution en comparaison de l’an dernier en raison d’une baisse du loyer moyen pour les 4 ½ à Sept-Îles. Saguenay se trouve au deuxième rang des villes les plus dispendieuses, avec seulement 215 $ de différence avec Sept-Îles. La nécessité de posséder une voiture à Saguenay, comme à Sept-Îles, et le coût plus élevé de l’alimentation expliquent en grande partie la hauteur de ce revenu viable.
Coût de la vie pour un ménage de deux adultes et deux enfants en CPE
Le tableau 3 présente le revenu disponible annuel nécessaire pour vivre hors de la pauvreté pour une famille composée de deux adultes et deux enfants en CPE, dans chacune des sept localités étudiées. Trois-Rivières demeure la ville la plus abordable (72 081 $) et Sept-Îles, la plus dispendieuse (85 463 $). La ville de Montréal arrive tout juste après (85 200 $) en raison des coûts du logement très élevés dans la métropole.
Pour le panier de dépenses de ce type de ménage, nous optons pour un appartement de trois chambres depuis 2024.
Nous budgétons un titre de transport en commun mensuel et une voiture pour les villes de Montréal, Québec, Gatineau, Sherbrooke, Saguenay et Trois-Rivières. Pour Sept-Îles, nous incluons deux voitures et les dépenses afférentes, en raison de l’offre insuffisante de transport en commun dans cette localité et en supposant que les deux adultes doivent se déplacer pour leur travail.
Au total, comme on peut le voir au tableau 4, entre 2024 et 2025, le revenu viable a varié d’une réduction de 4,0 % à Sept-Îles pour une famille monoparentale à une augmentation de 10,4 % pour une personne seule à Gatineau.
Dans une majorité des cas (15/21), le revenu viable a augmenté à un rythme plus lent que l’inflation. Il a même diminué par rapport à 2024 dans 12 cas. Bien que les coûts liés au logement soient plus élevés dans la majorité des scénarios, les frais de transport ont diminué de plus de 1 500 $ en raison d’une plus grande abordabilité des voitures et d’une réduction du prix de l’essence dans toutes les villes étudiées, à l’exception de Trois-Rivières. Les dépenses en télécommunications (forfaits internet et cellulaire, et abonnement au câble) et en vêtements ont diminué également en 2025, ce qui permet des économies d’un peu plus de 150 $. Cela se répercute ensuite dans la catégorie « autres dépenses et participation sociale », qui correspond à un pourcentage des coûts combinés de l’alimentation et des vêtements.
La situation des personnes seules à Gatineau fait office d’exception : l’augmentation du revenu viable pour ce type de ménage est plus de six fois celle de l’inflation. Le logement est encore en cause, avec une hausse importante du loyer moyen pour les 3 ½, qui passe de 1 108 à 1 287 $. Il s’agit du loyer le plus élevé pour un logement de cette taille parmi les sept villes étudiées, dépassant celui des 5 ½ pour toutes les villes à l’exception de Montréal et de Québec (respectivement 1 488 et 1 348 $).
Nous saisissons l’occasion du dixième anniversaire du revenu viable pour nous pencher sur l’évolution de l’indicateur. Bien que nous ayons des données comparables depuis 2015 pour les villes de Montréal et de Québec, nous avons choisi de faire commencer la plupart des graphiques en 2017 afin de pouvoir comparer l’évolution du revenu viable pour les sept villes sur une même base.
Commençons par regarder le revenu viable pour les trois scénarios. Dans chaque cas, nous avons mis en évidence les années où la méthodologie a été ajustée. D’abord, en 2019, les catégories de dépenses ont été harmonisées à celles de la MPC afin de les rendre plus comparables. En 2024, une révision approfondie a permis de réorganiser certaines composantes afin de les rendre plus proches de la réalité d’une sortie de pauvreté contemporaine. Ces changements affectent les résultats au-delà de la seule croissance du coût de la vie et il importe d’en tenir compte.
Dans le tableau 5, on peut voir l’évolution du revenu viable pour une personne seule. Dans la majorité des cas, les taux d’augmentation sont supérieurs à l’inflation. Nous avons mis en rouge les variations qui ont dépassé l’inflation de plus d’un point de pourcentage. À l’exception des années de rebasement, il n’y a qu’en 2023 que le revenu viable des personnes seules a augmenté au-delà de ce seuil dans les sept villes. À l’inverse, l’année 2018 a été très stable. Néanmoins, la tendance générale montre qu’au bas de l’échelle, le coût de la vie augmente à un rythme plus élevé que l’inflation. Après deux années consécutives de hausses importantes en 2023 et 2024, le revenu viable pour les personnes seules diminue ou se stabilise en 2025 dans la majorité des cas, avec des exceptions notables pour Trois-Rivières (+1,5 %), Montréal (+2,1 %) et Gatineau (+8,7 %). Notons que la ville de Gatineau est l’endroit où l’on observe la plus grande augmentation : chaque année depuis 2019, les hausses dépassent nettement l’inflation. La ville de Québec connaît également de nombreuses augmentations, mais celles-ci ne sont pas systématiques. À l’inverse, la ville de Saguenay semble plus stable, avec seulement trois hausses substantielles durant la période.
Les ménages monoparentaux ont connu de moins nombreuses augmentations du revenu viable en comparaison avec ce que nous avons calculé pour les personnes seules. Toutefois, comme on le voit au tableau 6, l’ensemble des villes connaissent des augmentations en 2019, l’année du rebasement, ainsi qu’en 2020. Alors que l’année 2023 s’est révélée coûteuse pour les personnes seules, elle est très stable pour les ménages monoparentaux, à l’exception de ceux qui habitent Gatineau, où les augmentations sont substantielles pour chaque année depuis 2019. En 2025, on constate une réduction du revenu viable pour un peu plus de la moitié des villes et une très faible croissance pour les autres, à l’exception de Gatineau qui augmente à près de 5 % de plus que l’inflation.
Finalement, on peut regarder l’évolution du revenu viable pour les ménages de deux adultes et deux enfants d’âge préscolaire. On remarquera d’abord qu’il y a beaucoup plus d’années où les revenus augmentent dans chacune des sept villes. Cela est observable en 2019, 2020, 2022, 2023 et 2024. À l’inverse, l’année 2021 a été étonnamment stable. Dans le cas de Saguenay, la réduction de près de 9 % s’explique par le retrait de la deuxième voiture, remplacée par un abonnement au transport en commun. En effet, la nécessité de posséder une voiture ajoute un poids considérable aux besoins financiers des ménages, et la possibilité de s’en passer permet d’importantes économies.
Dans le tableau 8, nous présentons les augmentations générales de 2017 à 2025, soit pour toute la période pour laquelle nous avons des données pour chacune des villes étudiées. Rappelons que ces hausses dépassent l’inflation dans tous les cas. Si Gatineau a vu les augmentations les plus importantes, et de loin, pour les personnes seules et les ménages monoparentaux, le coût de la vie a augmenté plus rapidement à Montréal pour les ménages de quatre et de deux personnes. Les deux villes se retrouvent systématiquement en première ou deuxième place pour les plus hautes augmentations pour les trois types de ménage. Le revenu viable est plus stable à Trois-Rivières, mais c’est à Saguenay que la croissance est la plus faible pour les familles de quatre personnes, à seulement 14,3 % entre 2017 et 2025.
Parmi les trois types de ménage étudiés, c’est la famille monoparentale qui connaît généralement la hausse la moins importante entre le début et la fin de la période concernée. Dans quelques cas exceptionnels, ce sont d’autres types de ménage qui connaissent la croissance la plus faible, notamment ceux de deux adultes et deux enfants à Gatineau et Saguenay, et les personnes seules à Saguenay.
Voyons maintenant l’évolution des dépenses pour différentes catégories. Nous avons choisi de présenter les dépenses de logement et de transport pour les sept villes, car nous utilisons des relevés de coûts réels pour chacune d’elles chaque année. Dans le cas de l’alimentation, nous utilisons exclusivement les données de Montréal, les seules qui sont collectées systématiquement chaque année. Dans les premières éditions du revenu viable, nous faisions des ajustements pour chacune des villes en fonction de données secondaires. À partir de 2024, il a été possible d’utiliser la même méthodologie pour l’ensemble des villes. Pour les autres catégories, certaines données sont beaucoup plus stables (frais de garde non remboursés), d’autres sont récoltées sporadiquement et ajustées annuellement (vêtements et soins de santé non assurés), et d’autres encore comprennent plusieurs composantes qui ont beaucoup évolué d’une année à l’autre (autres dépenses).
Évolution des dépenses en logement
Commençons par le logement. Nous présenterons l’évolution des dépenses d’un seul type de ménage. Les données pour les personnes seules (3 ½) ont été retenues pour deux raisons. D’une part, contrairement aux ménages de deux adultes et deux enfants d’âge préscolaire, le logement attribué à ce type de ménage est resté stable tout le long de la période étudiée. D’autre part, bien que nous observions les mêmes tendances pour les trois types de ménage, ce sont les plus petits logements qui ont connu les hausses les plus importantes. Le graphique 2 permet de voir que les coûts de logement n’ont pas évolué de la même manière selon les villes étudiées. Trois tendances se distinguent : pour les villes de Saguenay, Sept-Îles et Trois-Rivières, les dépenses en dollars constants sont restées relativement stables entre 2017 et 2023, alors qu’elles ont fortement augmenté pour Gatineau. Entre les deux, le groupe constitué de Montréal, Québec et Sherbrooke a connu une hausse modérée, surtout à partir de 2020. Toutefois, les loyers ont augmenté à des taux beaucoup plus élevés que l’inflation durant les deux dernières années pour l’ensemble des villes : alors que l’inflation se chiffrait à 5,7 % entre 2023 et 2025, les hausses sont près du triple pour les 3 ½, allant jusqu’à 34 % à Gatineau. Elles sont un peu moins importantes pour les logements plus grands, mais dépassent l’inflation dans tous les cas, à l’exception des 5 ½ de Gatineau. Ces derniers comptent néanmoins parmi les plus chers du Québec, après ceux situés à Montréal ou à Québec. Toutefois, ces hausses ne représentent que la pointe de l’iceberg ; en effet, il a été démontré que le roulement de locataires exerce une pression à la hausse sur les loyers. Pour cette raison, nous avons ajouté une composante dans la catégorie du logement en 2024, soit la « pénalité de roulement », qui permet d’ajuster le loyer moyen calculé par la SCHL pour prendre en compte les hausses associées au départ de locataires. C’est la combinaison de ces deux facteurs, la hausse importante des loyers sur le marché et l’ajout de la pénalité de roulement, qui explique les augmentations depuis 2023. Cette évolution met en évidence l’impact de la crise du logement sur la capacité des ménages à sortir de la pauvreté.
Évolution des dépenses en transport
L’un des aspects frappants de la mise à jour 2025 du revenu viable est la réduction du coût de la possession d’une voiture. Entre 2024 et 2025, les coûts d’achat et d’entretien ainsi que le prix de l’essence ont diminué suffisamment pour faire économiser plus de 1 500 $ aux ménages concernés. Après une flambée des prix des véhicules d’occasion pendant la pandémie, il semble que le marché se soit corrigé récemment, les prix ayant diminué de 8,3 % en moyenne, ce qui correspond plus ou moins aux économies observées dans le calcul du revenu viable. Cela dit, si le véhicule a été acheté dans les années précédentes, il est fort possible que les coûts soient plus élevés, car les dépenses sont ajustées en fonction de l’année d’achat. En effet, le revenu viable suppose dans son calcul que la voiture a été achetée pendant l’année courante. En d’autres mots, le revenu viable de 2025 est basé sur l’achat cette année d’une voiture usagée de 2021 que l’on garderait plusieurs années, alors que le revenu viable de 2024 calculait à partir de l’achat d’un modèle de 2020. Comme les prix des voitures usagées étaient très élevés jusqu’en 2023, on peut s’attendre à ce qu’ils se répercutent sur le budget des années suivantes, puisque les paiements sont étalés sur plusieurs années.
Le graphique 3 permet de voir l’évolution du coût du transport en dollars constants pour un ménage de deux adultes et deux enfants à partir de 2017. En mettant les données sur une base 100, nous pouvons observer l’évolution des dépenses liées à cette catégorie, car toutes les villes partent ainsi du même point. La baisse subite associée à Saguenay en 2021 s’explique par le retrait d’une voiture pour ce type de ménage à la suite d’une révision de l’offre de service du transport en commun. On peut néanmoins voir que la tendance est semblable à celle de l’évolution des dépenses dans les autres villes. La croissance des coûts liés à cette catégorie est évidente, particulièrement à partir de 2022. Alors qu’une petite baisse a été observée en 2021, le sommet a été atteint en 2024. Les dépenses pour Sept-Îles ont connu une hausse marquée liée, entre autres, à l’ajout de la catégorie « dépense hors région », qui nous est apparue nécessaire lorsque nous avons calculé le revenu viable pour la Gaspésie et la Côte-Nord. Certains biens, services et institutions n’étant pas accessibles hors des grands centres, un déplacement hors région s’impose pour répondre à l’ensemble de ses besoins lorsque l’on vit loin des centres urbains. En 2025, les données semblent plutôt s’ajuster aux hausses que l’on pouvait observer dans les années précédentes. En effet, le marché des voitures usagées a connu une croissance phénoménale pendant la pandémie, en même temps que le prix de l’essence augmentait plus rapidement que le taux général de l’inflation. Ces deux postes de dépenses se sont stabilisés depuis, ce qui explique la réduction dans cette catégorie du revenu viable pour l’année en cours.
Évolution des dépenses en alimentation
On peut faire le même exercice avec les coûts en alimentation en se concentrant sur les dépenses de Montréal selon les trois scénarios. Dans les premières années, les trois types de ménage présentaient des croissances similaires, ce qui met en lumière la simplicité de la méthodologie de l’époque. À partir de 2019, le rebasement a permis un raffinement en fonction de l’âge et du sexe des personnes dans les ménages, ce qui a entraîné une hausse importante des dépenses pour les trois types de ménage. Les tendances demeurent semblables ensuite, jusqu’en 2023, où l’inflation alimentaire a été particulièrement élevée. L’année suivante était celle du rebasement de 2024, lors duquel nous avons retiré les sorties au restaurant de cette catégorie et ajouté un ajustement au panier de provisions nutritif et économique afin de permettre, notamment, l’achat d’aliments qui ne sont ni économiques ni nutritifs, comme des mets préparés ou des friandises. Si le rebasement de 2019 a eu un effet notable sur les coûts en alimentation, tel n’est pas le cas en 2024. Le changement de méthodologie a même légèrement diminué les dépenses liées à la nourriture.
Dans une société où l’accès à un revenu est vital pour assurer sa subsistance, la distinction entre la couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté est importante pour orienter les décisions publiques relatives à la protection du revenu. Rappelons d’abord brièvement certains concepts nécessaires à la compréhension de notre approche du revenu viable.
Même si la pauvreté est une réalité multidimensionnelle, sa dimension économique, exprimée par le revenu, est incontournable. Dans le continuum des revenus, divers repères peuvent servir à mesurer ce que l’on désigne comme une « situation de pauvreté ». Comme le Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE) l’a d’emblée reconnu et rappelé à quelques reprises, situer la frontière entre la pauvreté et son absence en fonction d’un seuil unique pose problème. En fait, les différents seuils de faible revenu en usage marquent des étapes différentes de la transition entre la pauvreté et son absence.
À cet égard, le revenu viable complète utilement les trois mesures de revenu officiellement retenues pour suivre les situations de pauvreté au Québec, soit la MPC, pour la couverture des besoins de base; la MFR-50, ou la mesure de faible revenu correspondant à 50 % du revenu médian après impôt, pour les comparaisons interrégionales ; et la MFR-60, soit la même mesure correspondant cette fois à 60 % du revenu médian après impôt, pour les comparaisons internationales.
La MPC et la couverture des besoins de base
La mesure du panier de consommation est utilisée depuis 2009 au Québec pour suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base, à la suite d’une recommandation du CEPE. Dans sa recommandation, celui-ci précisait que ce niveau ne suffisait pas à la sortie de la pauvreté aux fins de l’application de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Au printemps 2019, la MPC a malgré tout été désignée et adoptée par le Parlement canadien comme seuil officiel de la pauvreté au pays dans la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté. Une loi québécoise et une loi fédérale imposent donc maintenant un suivi des situations de pauvreté, pour lequel la MPC sert de repère.
La MPC est calculée par Statistique Canada depuis 2002. Elle fournit « un ensemble de seuils basés sur le coût d’un panier de biens et de services correspondant à un niveau de vie de base ». Ce niveau de vie de base, aussi décrit comme « modeste », doit permettre de pourvoir aux besoins de base sur le plan de la survie et aussi de la vie sociale, comme la capacité d’étudier et de travailler. Il est fondé sur le coût, pour un ménage de deux adultes et deux enfants, d’un panier de consommation de base comprenant cinq types de dépenses : la nourriture, les vêtements, le logement, le transport et d’autres éléments de première nécessité. Ce coût varie selon les provinces et la taille des agglomérations.
Pour calculer les seuils de la MPC, contrairement au revenu viable qui est calculé spécifiquement pour chaque type de ménage, Statistique Canada estime d’abord ce qu’il en coûte à cette famille de deux adultes et deux enfants dans diverses localités pour se procurer le panier de référence convenu, et ajuste ensuite la somme obtenue à d’autres tailles de ménage selon l’échelle d’équivalence en usage. La base de calcul est révisée périodiquement. La dernière révision a été effectuée sur la base de l’année 2018. La prochaine est en cours et sera basée sur l’année 2023.
Le tableau 9 présente une estimation indexée à 2025 des seuils de 2023 de la MPC au Québec selon cette base de 2018.
Le revenu viable et la sortie de la pauvreté
Vivre hors de la pauvreté ne signifie pas uniquement couvrir ses besoins de base. Dans son avis de 2009, le CEPE a rappelé que, selon la définition donnée par la loi québécoise, on doit aussi disposer « des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique ou pour favoriser son intégration et sa participation à la société ». Il a aussi rappelé qu’une personne doit être en mesure de jouir « d’un niveau de vie suffisant ainsi que de la possibilité d’exercer les droits qui lui sont reconnus ». Et il a souligné que si la MPC ne suffisait pas à satisfaire ces critères, un indicateur pouvant le faire manquait dans la gamme des indicateurs disponibles.
D’une édition à l’autre depuis 2015, le revenu viable s’est avéré un candidat intéressant pour remplir le rôle de cet indicateur manquant, plus apte à indiquer un niveau de vie hors de la pauvreté au-delà de la seule couverture des besoins de base. Un exercice d’harmonisation a été mené en 2019 afin de réorganiser les composantes du revenu viable pour les rendre comparables à celles de la MPC. Cela nous a permis de voir que le niveau de vie estimé au moyen du revenu viable est généralement cohérent avec celui que procure la MPC pour l’ensemble de ses composantes, tout en étant plus élevé. Autrement dit, il demeure modeste, mais offre plus de latitude aux ménages concernés.
Le tableau 10 en fait la démonstration détaillée pour un ménage de deux adultes et deux enfants, lequel sert de référence pour le calcul de la MPC par Statistique Canada. Aux fins de comparaison, nous avons retenu les villes de Montréal (la métropole du Québec), de Trois-Rivières (la ville la plus abordable selon le revenu viable) et de Sept-Îles (la ville la moins abordable selon le revenu viable). Le tableau montre clairement que le transport et les dépenses non discrétionnaires sont les catégories où les différences sont les plus importantes entre la MPC et le revenu viable, ce dernier prévoyant un budget correspondant à plus du double dans les deux cas, voire près du triple dans le cas du transport à Sept-Îles. À l’inverse, les dépenses en nourriture et en vêtements estimées pour le revenu viable sont beaucoup plus près de ce qui est alloué par la MPC. Bien que l’ordre de grandeur soit relativement similaire pour la majorité des catégories entre les trois villes, l’abordabilité de Trois-Rivières se reflète particulièrement dans le cas des dépenses en nourriture et en logement. Alors que la différence avec la MPC pour cette dernière catégorie est de 57,6 % pour Montréal et de 37,2 % pour Sept-Îles, elle n’est que de 9,6 % à Trois-Rivières.
Le tableau 11 présente les totaux comparés entre la MPC et le revenu viable pour les ménages monoparentaux avec un·e enfant en CPE. Le tableau 12 fait de même pour les ménages composés de personnes seules. Dans les deux cas, nous avons repris les villes de Montréal, Trois-Rivières et Sept-Îles aux fins de comparaison. Comme les catégories spécifiques se transposent moins bien lors de leur conversion par le facteur d’équivalence par taille de ménage, nous présentons les résultats en deux groupes, le premier correspondant aux dépenses assimilables aux composantes de la MPC (nourriture, vêtements, transport, logement et autres dépenses) et le second, à ce qui en est exclu pour les ménages monoparentaux et les personnes seules.
Rappelons que le CEPE a établi en 2010 qu’il fallait ajouter 7 % en moyenne à la MPC pour estimer un revenu après impôt permettant de tenir compte de ces dépenses qui restent invisibles dans les seuils de la MPC. Le calcul du revenu viable permet de mettre en perspective cette donnée. Si le montant correspondant paraît relativement juste pour les personnes seules (entre 4,9 et 6,5 %), il l’est moins pour les familles, que celles-ci soient monoparentales (entre 13,6 et 17,5 %) ou biparentales (entre 12,5 et 14,8 %). Il s’agit là de montants substantiels que l’on ne peut ignorer dans le budget de ménages pour lesquels chaque dollar compte.
Ces résultats montrent l’intérêt d’associer la MPC et le revenu viable sur plusieurs points et appellent à la vigilance des parties prenantes. Il faut encore rappeler que le niveau de revenu déterminé par la MPC exclut certaines dépenses non discrétionnaires et qu’un ajustement est nécessaire afin de le rendre comparable au revenu après impôt. Cela étant dit, alors que la MPC permet de déterminer un niveau minimal de couverture des besoins, le revenu viable offre un indicateur de sortie de pauvreté. Les deux indicateurs combinés permettent de mieux suivre les différentes situations de vie et de pauvreté.
La MPC, la MFR-50, la MFR-60 et le revenu viable de 2015 à 2020
Pour continuer de mettre en évidence la contribution du revenu viable, il nous faut revenir aux deux autres indicateurs liés à la médiane des revenus après impôt qui étaient recommandés dans l’avis du CEPE de 2009 aux fins de comparaison, soit la MFR-50, pour les comparaisons interrégionales, et la MFR-60, pour les comparaisons internationales. Alors que la MPC et le revenu viable sont des indicateurs absolus basés sur un panier de consommation concret, les MFR sont des seuils relatifs qui permettent de situer la pauvreté en comparaison avec le revenu médian, c’est-à-dire le revenu qui se situe au milieu de la distribution pour un groupe donné. Ces indicateurs servent de références communes pour divers pays en l’absence de mesures de panier comparables et ont comme avantage leur grande simplicité. Ils impliquent eux aussi un critère minimal et un critère plus élevé (50 % et 60 % du revenu médian) dans une zone de seuils décrivant la transition entre la pauvreté et son absence. Dans la conjoncture québécoise ayant suivi l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, il avait été établi que la MPC pouvait être comparée à la MFR-50, mais il manquait un indicateur comparable à la MFR-60. Le revenu viable remplit ce rôle.
Le tableau 13 montre en effet comment, en 2022, le revenu viable permettait de mettre en relation ces quatre indicateurs en tant qu’indicateur de type panier situé en haut de zone par rapport à la MPC et comme mesure valable pour indiquer un niveau de vie et un potentiel de consommation correspondant concrètement à la MFR-60 québécoise, qui doit normalement servir aux comparaisons internationales pour l’atteinte de la cible de réduction de la pauvreté de la loi québécoise. Nous présentons également les pourcentages de la population qui se trouvent en deçà de chaque seuil.
Les données pour la population sous le revenu viable ne sont pas disponibles, notamment en raison des multiples résultats à l’échelle du Québec. Nous utilisons donc le montant associé aux personnes seules à Montréal aux fins de comparaison. Le graphique 5 montre qu’il y a une bonne correspondance entre la MFR-60 et le revenu viable, particulièrement à partir de 2021. Si on prend en considération les différences du revenu viable par villes et tailles de ménages ajusté pour représenter un montant pour des ménages d’une personne, on observe que celui-ci varie de 25 128 à 39 449 $. En comparant les niveaux des quatre indicateurs, la variation du revenu viable ajusté, le pourcentage de population sous chaque seuil et la répartition de la population, nous pouvons estimer qu’entre 12 et 15 % de la population se trouvait sous le revenu viable en 2022, alors que le Québec était encore sous le coup de la pandémie et des prestations d’aide qui l’ont accompagnée.
Le graphique 5 permet de voir l’évolution des quatre indicateurs et leur relative correspondance entre 2015 et 2022. L’utilité du rebasement s’observe tant pour la MPC pour que le revenu viable. En effet, on remarquera que l’écart entre les mesures de type panier et les mesures relatives ont augmenté dans les dernières années alors que la correspondance était meilleure en 2018 pour la MPC et en 2019 pour le revenu viable, soit leur dernière année de base respective. Cela justifie d’autant plus le travail méthodologique effectué l’an dernier.
Suivre les situations de vie à l’aide du revenu viable
Le tableau 14 permet de comparer différentes situations de revenu pour une personne seule vivant à Montréal. On constate qu’aucun programme de soutien de dernier recours ne permet d’atteindre le seuil minimal de couverture des besoins de base, et encore moins quand on y ajoute la compensation pour dépenses non discrétionnaires de 7 %. Le revenu disponible pour les personnes qui reçoivent l’aide sociale de base permet de couvrir moins de la moitié des besoins de base selon le seuil de la MPC pour une personne seule à Montréal. Le revenu de base pour les personnes avec des contraintes sévères à l’emploi est aussi inférieur à ce seuil. Si on compare la situation des personnes ayant recours à ces programmes à celle de l’an dernier, on remarque que leur capacité à répondre à leurs besoins est restée la même et que, par conséquent, plusieurs d’entre elles demeurent dans un état de grande précarité, voire d’indigence.
Pour les personnes salariées, la sortie de la pauvreté n’est pas garantie, même si elles travaillent à temps plein. En effet, le salaire minimum, qui représente environ les deux tiers du revenu viable, permet à peine d’atteindre la MPC. Une personne seule à Montréal doit gagner un salaire horaire de plus de 28 $ pour que son emploi à temps plein lui permette d’atteindre le revenu viable, ce qui représente environ 12 $ de plus que le salaire actuellement garanti.
Qu’en est-il des personnes âgées de 65 ans et plus ? Pour celles qui n’ont accès à aucune prestation au-delà de la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV) et du Supplément de revenu garanti (SRG), le revenu disponible est légèrement sous la limite de la MPC si l’on exclut les dépenses non discrétionnaires. Comme les personnes âgées ont souvent besoin de soins d’appoint et que ceux-ci sont parfois difficiles à obtenir dans le réseau public, on peut émettre l’hypothèse que ce niveau de revenu ne permet pas de répondre à l’ensemble de leurs besoins. Même en travaillant à temps plein au salaire minimum, la sortie de la pauvreté n’est pas possible pour les personnes âgées.
Deux scénarios supplémentaires sont présentés pour les personnes retraitées qui permettent de mieux comprendre leur réalité financière. On constate qu’une personne touchant la rente maximale du Régime de rentes du Québec (RRQ) à 65 ans, soit un peu plus de 16 000 $ par année, n’atteint que 73 % du revenu viable. Il lui manque donc un peu plus de 10 000 $ pour atteindre ce seuil. Pour une personne qui reçoit le montant moyen des prestations à 65 ans (environ 10 000 $), un travail à temps partiel au salaire minimum n’est pas suffisant pour vivre au-delà de la pauvreté à Montréal. Alors que ce scénario couvrait 95 % du revenu viable en 2024, il ne permet plus que 93 % en 2025. Certes, les travailleurs et les travailleuses qui parviennent à cotiser suffisamment pour obtenir un tel niveau de prestations ont généralement d’autres sources de revenus (REER, régime de retraite d’employeur, etc.). Cela dit, l’exercice met en évidence la nécessité d’avoir des revenus d’appoint pour atteindre un niveau de vie décent à la retraite.
Pour avancer vers un Québec sans pauvreté, il est incontournable que les protections sociales de base en viennent à couvrir les besoins de base et que le salaire minimum à temps plein permette une vie exempte de pauvreté. Il devrait également aller de soi qu’une vie de travail à temps plein et de cotisations au RRQ garantisse une retraite sans pauvreté ou, autrement dit, au niveau d’un revenu viable.