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La trumpocratie | La Presse


Paul Houde nous a quittés il y a un peu plus d’un an. En brassant les souvenirs, je me suis rappelé nos escapades de « gars » à New York, où l’on profitait du printemps pour se changer les idées avant d’amorcer la dernière ligne droite de la saison de radio.


Traverser le pont de Brooklyn à pied. Ratisser les rues de SoHo. Pèlerinage obligatoire à Ground Zero. Des heures à bouquiner ou à faire de l’humour noir autour d’un verre de rouge. Je me souviens en particulier d’une soirée dans un bar de Greenwich Village où nous avons assisté à un spectacle hommage à Janis Joplin. Paul, fan fini de la chanteuse, a passé la soirée debout à danser et à chanter. C’est gravé dans ma mémoire.

Donald est venu tout bousiller.

Plus personne n’a envie d’aller aux États-Unis. C’est beaucoup plus qu’une colère momentanée à la suite d’une chicane de voisins. La fracture est profonde. Il y a quelque chose de cassé.

Depuis trois mois, l’empereur de la Maison-Blanche déploie un plan beaucoup plus pernicieux que la guerre tarifaire qu’il a lancée à travers la planète.

Il jette les bases de la « trumpocratie ».

En fait, il réchauffe les vieilles méthodes des dictateurs qui ont tragiquement marqué l’histoire. Neutraliser les adversaires par la menace ou le chantage. Imposer sa propagande. Profiter de la colère et des craintes légitimes du bon peuple pour se donner les pleins pouvoirs avec sa police politique et bureaucratique. Le plus important : être président tant et aussi longtemps qu’il le désire.

L’autrice canadienne Margaret Atwood, dont le livre a inspiré la série La servante écarlate, a écrit dans le quotidien français Libération :

« Les révolutions, de droite comme de gauche, partagent un grand nombre de points communs : le renversement de l’ordre établi en invalidant ou en ignorant lois et constitutions, le déboulonnage des statues pour en ériger d’autres, l’interdiction de certains ouvrages, la censure des médias, la réécriture de l’histoire, le changement de noms géographiques… On coche ici toutes les cases. Et toutes les révolutions s’emparent du pouvoir en promettant aux habitants d’un pays donné une vie bien meilleure – l’argent coulera à flots, vous ne saurez plus quoi en faire, tout le monde mangera à sa faim, la liberté régnera, mais il faudra bien sûr commencer, au nom précisément de la liberté, par instaurer la censure et recourir un peu à la terreur, parce qu’on n’a rien sans rien. Il conviendra de réduire en cendres l’ordre ancien afin de permettre l’avènement du meilleur des mondes, et vous devrez faire confiance à Big Brother, il ne veut que votre bien. »

Que fait Donald ? Il fait mettre à genoux les grands bureaux d’avocats qui pourraient s’opposer à lui. Il gèle des milliards destinés aux universités qui refusent sa tutelle idéologique. Il menace d’emprisonner des citoyens américains dans des prisons en Amérique latine. Il impose la censure sur des livres dans les écoles. Il défie le système de justice. Tout ça et bien plus en trois mois seulement !

Margaret Atwood raconte que ses amis lui avaient fortement recommandé de ne se pas se rendre aux États-Unis pour la première de sa série télévisée parce qu’elle aurait des problèmes à la frontière. Elle est restée chez elle.

J’ai reçu beaucoup de courriels de Québécois qui vivent ou qui passent quelques mois aux États-Unis. Le constat : de nombreux Américains s’excusent du comportement du monarque. Évidemment, il est préférable de ne pas parler de politique et de religion et surtout d’éviter les fiers porteurs des casquettes rouges MAGA. Mais nombreux sont leurs compatriotes qui éprouvent un malaise profond devant autant de bêtises, de mensonges et d’arrogance. Tous les Américains n’ont pas voté pour Trump.

Une crainte revient toutefois sans cesse : si je rentre au Québec pour l’été, comment ça va se passer avec les douaniers américains au retour ? J’ai un permis de travail, une carte verte ou le document maintenant requis pour les séjours de plus de 30 jours. Est-ce qu’on va fouiller mon téléphone ? Est-ce qu’on va me harceler de questions ? Est-ce que je serai intercepté dans la rue ? Est-ce que je serai refoulé à la frontière ?

Donald installe un climat toxique de suspicion et d’anxiété.

Le Parti démocrate n’est pas étranger à ce dérapage. Il a poussé la bienveillance à l’extrême. Il s’est déconnecté de sa base traditionnelle en mettant au premier plan les droits des minorités et en négligeant les enjeux et les inquiétudes de la classe moyenne. Les électeurs lui ont tourné le dos pour se jeter dans les bras de l’empereur.

Un dictateur ? J’hésite toujours à utiliser ce terme trop souvent galvaudé. Mais Trump avait dit qu’il le serait pour une journée. Il y a pris goût.

En écrivant La servante écarlate, Margaret Atwood avait créé une société fictive sombre et dangereuse. La série télé montre que la ligne est mince entre la fiction et la réalité qui se dessine devant nos yeux.

La femme soumise. Les commandants qui ressemblent au vice-président J.D. Vance. Tous ces réfugiés à bord des trains.

Toutes les belles maisons blanches de New Bethlehem réservées à l’élite. Un vaste projet immobilier. D’énormes profits. La nouvelle terre promise.

Donald y serait tellement heureux.

June Osborne, l’héroïne de la série, devrait nous inspirer. Une femme déterminée qui refuse de se soumettre à ce régime oppressif en disant : « Ne laisse pas les salauds t’écraser. »





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