Elles sont extrêmement rares, les séries brillantes et touchantes comme Empathie de la plateforme Crave, qui nous font rire, réfléchir et pleurer dans un même épisode, parfaitement construit et joué de façon magistrale.
Ça faisait longtemps qu’une émission québécoise m’avait autant remué qu’Empathie, une splendide création de l’auteure Florence Longpré et du réalisateur Guillaume Lonergan. Quelle œuvre poignante, drôle, sensible et remplie d’humanité.
Nous sommes nombreux à chanter les louanges de cette tragicomédie intelligente qui parle de graves problèmes de santé mentale, de solitude et de traumatismes d’enfance sans nous assommer ou nous déprimer. Depuis la création du service en français de Crave, il y a cinq ans, Empathie a connu le deuxième départ d’une production originale, tous genres confondus, se classant tout juste derrière OD : Tentations au soleil de Maripier Morin.
Et depuis sa mise en ligne le 10 avril, Empathie a généré plus de visionnements sur Crave que les versions françaises de superséries comme The Last of Us ou The White Lotus. Comme quoi : quand la télé québécoise est de qualité supérieure, les consommateurs la regardent encore plus que celle fabriquée aux États-Unis avec des moyens financiers pas mal plus costauds.
La force d’Empathie réside dans la complexité et la profondeur de ses personnages, tout sauf unidimensionnels. À commencer par la psychiatre Suzanne Bien-Aimé (Florence Longpré), nouvelle recrue à l’Institut Mont-Royal, un hôpital pénitentiaire semblable à l’établissement Philippe-Pinel à Montréal.
Quand on rencontre Suzanne au premier épisode d’Empathie, l’alerte au divulgâcheur hurle dans l’aile des fous !, elle couche avec un homme pour la première fois et vit dans un appartement encombré de boîtes jamais défaites. On comprend qu’elle est désorganisée, recluse, alcoolique et triste, mais d’où provient son immense mal de vivre ?
D’épisode en épisode, Florence Longpré retire les pelures de sa criminologue et psychiatre pour en dévoiler le cœur, qui a passablement été amoché. Pouponne abandonnée dans une poubelle d’un commerce du centre-ville de Montréal, Suzanne Bien-Aimé a été élevée par une mère d’origine haïtienne, perfectionniste et exigeante, peu démonstrative et rigide. Évidemment que ça laisse des traces.
Le cinquième épisode, celui de la porte-patio et du popcorn rose, est bouleversant. Il nous fournit des clés importantes pour décoder la détresse et la culpabilité qui rongent Suzanne, un personnage à la fois imparfait et attachant.

PHOTO FOURNIE PAR CRAVE
Suzanne Bien-Aimé (Florence Longpré)
Oui, notre Suzanne est bête et bizarre et elle sent le fond de tonne, mais son côté décalé, son humour particulier et ses imperfections la rendent hyper sympathique.
Si sa vie personnelle est un désastre, la psychiatre Suzanne excelle à son travail en établissant des connexions sincères avec ses patients, qui ont commis des actes horribles. Serait-ce plus facile de réparer les autres que de s’occuper de soi-même ?
C’est un autre tour de force d’Empathie : nous faire aimer les criminels que soigne la Dre Bien-Aimé. Qu’il s’agisse du pyromane Jacques Dallaire (Benoît Brière) ou de la prisonnière meurtrière Carole Moisan (Brigitte Lafleur), Florence Longpré nous montre d’où ces poqués viennent et ce qu’ils ont vécu de terrible pour peindre un portrait plus nuancé de leur réalité, sans toutefois excuser leurs gestes. C’est finement tricoté, fort bien amené.

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Le pyromane Jacques Dallaire (Benoît Brière)
La fin du quatrième épisode, celui où l’on rencontre les deux sœurs mesquines de Mme Moisan, a atteint des sommets d’intensité émotive. Pouvez-vous attendre que je meure avant de partir ?, a demandé Mme Moisan, seule, mais sereine sur son lit de mort. Fermez vos beaux yeux, lui a soufflé Suzanne Bien-Aimé, une larme roulant sur sa joue. Quelle scène poignante.
Collègue, ami ambigu et personnage miroir de Suzanne, Mortimer (Thomas Ngijol) porte aussi une lourde charge familiale, élevé dans un milieu violent par une maman qui a clairement besoin d’une aide psychiatrique. Ce n’est pas étonnant que Suzanne s’accroche à Mortimer, et vice-versa. Ils se sont trouvés dans leur isolement et leur parcours de vie raboteux.
Comme dans M’entends-tu ?, Florence Longpré fait parler du « vrai monde » dans Empathie sans que cela ressemble à un sketch.
Je pense à Louise (Pascale Montpetit), la sœur de M. Dallaire, ou à Hélène (Geneviève Alarie), celle qui nettoie les dégâts de M. Vanier (Nicolas Michon), le patient qui remplit ses bobettes d’encre à stylo ou de nourriture. Les dialogues ne sonnent jamais faux.
L’épisode qui sort aujourd’hui – le 6e sur un total de 10 – dévoile une autre facette de la pimpante Diane (Josée Deschênes), la commis à l’accueil qui a noué une relation « spéciale » avec le patient Charles Villeneuve (Jean-François Nadeau), fraudeur et séducteur en série.
Les influences musicales d’Empathie sont aussi éclectiques que charmantes. Ça fonctionne d’insérer la chanson Les rois du monde, extraite de la comédie musicale Roméo et Juliette, entre deux séquences hyper dramatiques. Tout comme ça marche d’entendre Le paquebot d’Ingrid St-Pierre, la chanson thème du dessin animé Capitaine Flam ou Femme de rêve de Claude Dubois.
Ces moments musicaux sont encore plus réussis si un des personnages enfile un chandail Humeur Design. C’est exactement comme « chat » qu’on aime Empathie : en fragilité, en tendresse et en humour.