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Alex Boissonneault | Erreur de jeunesse


Je ne connais pas Alex Boissonneault. Pour moi, c’est un gars de Radio-Canada que j’ai vu à la télé, du temps où il couvrait l’Assemblée nationale.


Lundi, il a fait les nouvelles deux fois…

La première, quand on a su qu’il quittait Radio-Canada pour devenir candidat péquiste à la partielle dans Arthabaska.

Et la deuxième, quand l’histoire de son passé d’extrême gauche est sortie des boules à mites, l’histoire de son arrestation en marge du Sommet des Amériques de Québec, en avril 2001.

À 22 ans, donc, Alex Boissonneault avait des convictions d’extrême gauche. Étudiant à l’université, il militait dans Germinal, groupe pas très connu hors des cercles militants.

Germinal est devenu très connu le 17 avril 2001, quand sept de ses militants ont été arrêtés. Conférence de presse à Québec de la SQ et de la GRC, j’y étais. Gros, gros show de la police au moment où le Québec entier appréhendait des manifs monstres à Québec.

Mes mots, à l’époque, dans le Journal : « Six jeunes individus de Montréal qui prévoyaient faire de la casse au Sommet de Québec. »

Rigoureusement vrai : ils prévoyaient faire de la casse à Québec. On nous les avait présentés, je m’en souviens, comme des quasi-terroristes, armés jusqu’aux dents.

La suite des choses, le procès notamment – surtout – a montré un portrait plus nuancé de ces sept militants et de leurs intentions.

Germinal avait l’intention de faire de la casse à Québec : factuel. Et criminel.

Mais le gendarme Nicolas Tremblay racontera aussi que Germinal se tenait loin de groupes plus radicaux, plus casseurs.

Et les militants de Germinal avaient aussi un drôle souci de ne pas blesser, de ne pas tuer. Ils étaient prêts à se battre avec les policiers, oui. Mais pas question de leur lancer des billes d’acier, juste des boules de peinture. Pour masquer leurs visières.

L’utilisation de cocktails Molotov a fait débat, plusieurs étaient contre. La police en a trouvé quelques-uns, pourtant. L’idée d’utiliser ces cocktails Molotov, c’était pour faire diversion, a-t-on su au procès… Aussi saugrenue que cette idée – dangereuse – puisse sembler.

Il n’y a jamais eu de « grenade » ou d’explosifs au sens strict : il y a eu des grenades fumigènes, d’autres assourdissantes. Des bâtons, aussi. Des boucliers.

Un plan idiot, évidemment. Dangereux, oui. Criminel, bien sûr.

Mais le groupe était infiltré et surveillé depuis des mois. Dans un climat de paranoïa pré-Sommet à l’époque, la police a choisi de les arrêter deux jours avant le Sommet des Amériques.

Le recul des 24 années qui ont passé m’incite à dire que la police a fait un gros show avec cette arrestation qui aurait pu survenir bien avant.

Le but ultime de Germinal, selon les mots du policier infiltré Tremblay au tribunal : « Leur but, c’était de s’attaquer à la clôture. »

Ah, la fameuse clôture…

Des hectolitres d’encre, des kilomètres de ruban de cassettes vidéo et audio ont été utilisés dans les semaines avant le Sommet des Amériques pour parler de cette clôture : quatre kilomètres de béton et de grillage Frost pour protéger le périmètre des lieux de discussions du Sommet.

Pour les militants, un symbole antidémocratique de la cassure entre les élites et le peuple.

Contexte : en décembre 1999, une conférence de l’Organisation mondiale du commerce avait été grandement perturbée par les militants antimondialisation, à Seattle. Manifs monstres, actions directes, vandalisme, affrontements avec la police : Seattle a galvanisé le mouvement altermondialiste…

Québec, en avril 2001, se présentait comme le remake de Seattle, dans les cercles de gauche. Les gouvernements du Canada et du Québec ont offert une réponse sécuritaire jamais vue : la clôture de quatre kilomètres ceinturant le centre-ville et des centaines de policiers déployés dans les rues.

La clôture est devenue le symbole à abattre pour certains militants. Dont Germinal.

Les sept de Germinal ont été arrêtés avant de s’attaquer à la clôture.

Accusés, ils ont été reconnus coupables. Peine : prison à domicile.

Quant à la fameuse clôture, elle a subi une brèche dès les premières minutes de la première manif.

J’avais annoncé cette chronique au pupitre quand Charles Robert m’a appelé. Il voulait me parler d’Alex Boissonneault.

Charles Robert est l’ancien directeur adjoint des communications de Philippe Couillard. Quand Alex Boissonneault est arrivé à l’Assemblée nationale en 2015, il savait qu’en 2001, le nouveau courriériste de Radio-Canada avait un passé d’agitateur d’extrême gauche reconnu coupable à Québec, en 2001.

Ce libéral pur jus, rouge vif vif, a exigé de parler au journaliste, question de savoir à qui il avait affaire.

« Je voulais savoir si j’avais affaire à un adversaire, il avait ce passé d’extrême gauche, dans un groupe qui prévoyait commettre des gestes illégaux au Sommet des Amériques… »

Charles Robert me dit qu’Alex Boissonneault n’a rien caché de son passé militant, qu’il n’a pas tenté de chercher des excuses, 14 ans après les faits.

« Il m’a dit, d’emblée : “Que veux-tu savoir ?” »

Et pendant deux heures, dit-il, Alex Boissonneault a raconté son parcours, sans gommer rien de son passé. Il a été, dit Charles Robert, « d’une transparence extraordinaire ».

Dans notre conversation, Charles Robert part à rire : « Regarde-moi, le libéral : je défends un péquiste ! »

Autre rire : « J’ai toujours soupçonné que j’avais affaire à un crypto-péquiste, ascendant solidaire, remarque. Mais ça n’a jamais, jamais, jamais paru dans sa couverture de la politique… »

Charles Robert parle d’erreur de jeunesse. Il espère qu’Alex Boissonneault sera jugé sur ses positions, sur les idées de son parti. Pas sur le jeune homme de 22 ans qui a merdé.

« Radio-Canada n’a pas embauché un terroriste, dit Charles Robert. Et le Parti québécois n’a pas recruté un terroriste… C’est même pas proche de ça. »

Puis, le militant reprend le dessus : « Mais j’espère qu’Alex va perdre dans Arthabaska ! »

Je crois qu’on peut être spectaculairement stupide à 22 ans. Je crois qu’on peut apprendre de ses erreurs de jeunesse.

Je crois aussi à la réhabilitation et à la deuxième chance… Sans en faire une idéologie. C’est au cas par cas, je trouve.

Il y a des gens qui se réhabilitent, qui ont vraiment commis des erreurs de jeunesse. Il y en a d’autres qui, selon le contexte, selon le crime… méritent qu’on se méfie d’eux, mettons ?

Dans le cas d’Alex Boissonneault, qui a reçu un pardon en 2011, je vois bien que des gens s’agitent à son sujet, mais j’ai de la misère à voir en son parcours depuis 2002 autre chose que celui d’un homme qui n’a pas répété ses erreurs de jeunesse.

Bien sincèrement, 23 ans après son procès, rien dans le parcours du citoyen Boissonneault n’indique qu’il en mérite un deuxième, dans le tribunal de l’opinion publique.

Si ce gars-là n’est pas réhabilité, la réhabilitation n’existe pas.



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